Un soupir. Puis, plus rien. Aucun bruit ne dérange cet instant. Je fixe les nuages qui se baladent paresseusement dans le ciel, porté par un vent somnambule. Je n’ai pas envie de bouger d’ici, pas envie de replier ma carcasse, pas envie non plus d’affronter une réalité qui n’est plus la mienne. Je divague sans doute un peu, mais dernièrement, il m’arrive souvent de penser que ma vie ne vaut rien. Il y a bien Lucas… Mais Lucas a lui aussi ses problèmes et je ne souhaite pas l’embêter davantage. Un autre soupir. Comme si la vie était si simple, comme si elle méritait vraiment que je m’y attarde… Comme si c’était important. Je ferme les yeux. Les mains derrière la tête, j’ai l’impression que tout est immobile. Que le temps s’est arrêté et qu’il s’est arrêté pour me permettre de souffler un peu. Ce n’est qu’une illusion et je le sais. Parce que bientôt, je devrai retourner à cette vie qui me traîne avec elle, m’enlace et m’empoisonne. Parce que ma vie devient si lourde à traîner… Ce n’est qu’un immense fardeau. Inutile de rêvasser plus longtemps : je connais la suite de l’histoire. Repliant mes jambes, j’étais désormais assise en tailleur sur ma planche à roulettes. La casquette bien vissée sur la tête, je rabattis mon capuchon. La forêt n’était pas mon endroit préféré, mais au moins, c’était un endroit qui me procurait une discrétion qu’il m’était impossible de retrouver ailleurs. J’aurais pu pleurer toutes les larmes de mon corps ici sans que personne ne voie toute l’étendue de ma tristesse.
Le poids que je supportais chaque jour devenait plus lourd. Si mes épaules désiraient se décharger de tout ce que je vivais, il m’était presqu’impossible de le faire. À qui pouvais-je confier ce fardeau sans risquer de faire ployer la personne sous le poids immense d’une vie détruite? Non, il était impossible pour moi d’imposer ça à quiconque. Je fus soudainement interrompue dans mes pensées par un bruit qui venait des buissons. Quelque chose avait bougé. Je savais que l’endroit grouillait de bestioles de toutes sortes et je n’avais pas envie de servir de repas à l’une d’entre elles. Me relevant d’un bond, je glissais mon skate dans les bretelles de mon sac et me mis à courir. J’entendis un grognement qui n’avait rien pour me rassurer. Il fallait que je sorte d’ici, que je retourne à la civilisation. Les branches des arbres fouettaient mon visage puisque je n’arrivais pas à les écarter toutes de mon chemin. Ma respiration devenait de plus en plus saccadée. Mes jambes finiraient par me lâcher. Il fallait que je sorte d’ici. Mon cerveau n’arrivait plus à trouver le chemin du retour. M’éloignais-je du chemin ou étais-je en train de m’en rapprocher? Impossible à dire.
Une racine stoppa net ma course et fut la raison de mon vol plané. J’atterris sur le sol, à plat ventre, ce qui me coupa le souffle. Je me retournai rapidement et vis deux yeux qui m’observaient. Le loup qui se tenait devant moi semblait immense. Sa bouche dévoilait des crocs prêts à déchiqueter la moindre parcelle de mon corps. J’avais envie de mourir, mais peut-être pas de cette façon. Ma respiration se faisait plus saccadée et j’étais incapable de me mouvoir facilement. J’essayai de me remettre sur pied et ma cheville droite provoqua une douleur intense. Je ne pus retenir un cri qui se fraya un chemin de ma gorge jusqu'à mes lèvres. Merde! Ça faisait vraiment mal! J’espérais juste qu’elle n’était pas cassée : une foulure, on s’en remettait plus facilement. Je n'avais pas vraiment le temps de réfléchir à ma blessure. Il fallait que je réagisse à la situation qui se produisait devant moi.
Le loup s’avançait lentement. Son poil, hérissé sur son corps, m’informait qu’il n’avait sans doute pas envie que je lui caresse le dos. J’pouvais toujours crier, mais je savais bien que c’était inutile : qui viendrait m’aider ici? Presque personne ne venait se balader dans ce coin de la forêt. Alors, inutile d’évoquer cette option. Grimper à un arbre? Impossible, j’étais dans l’incapacité de me lever. Je n’avais pas un millier d’options qui s’offrait à moi. Je pris ma planche, prête à l’utiliser comme une arme si jamais il s’approchait trop. Craintive, je savais bien que je n’avais aucune chance si le loup décidait de m’attaquer. Je désirais le voir partir et le plus loin possible. Une pensée me vint alors pour Lucas : il serait bien le seul à s’inquiéter si jamais je disparaissais subitement. Ça doit être bien quand on a quelqu’un qui s’ennuie de nous, quelqu’un qui nous aime vraiment… Mais l’amour, c’est pour ceux qui ont encore espoir que leur vie peut s’améliorer. Et moi, j’en avais aucun…