Entrez, Bienvenue dans mon Monde..."
« Tu te nourriras comme tu voudras, mon amour : humain, mouton, lapin de Garenne, pigeon... C'est ton choix, pas le mien. Mais n'oublie jamais que les humains se nourrissent d'animaux depuis des millénaires. Pourquoi devrions-nous nous priver de faire pareil avec eux ? Ils ne sont pas plus dommages que le petit agneau qui se trouve dans leurs assiettes lors des fêtes. »Je me rappellerai toute ma vie cette parole de mon cher Dante. Mon amour, mon maître, mon capitaine… il me manque tellement depuis un siècle…
Mais vous ne devez pas y comprendre grand'chose, pour l'instant. Alors, si vous le voulez bien, je vais vous raconter mon histoire. Mais vous ne m'en voudrez pas si je vous tue ensuite. Vous savez bien : « garder le secret, cacher l'existence des Vampires, blablabla ». Oh bien sûr que je pourrais simplement vous faire tout oublier et vous renvoyer à votre minable petite vie, mais... où serait donc le plaisir ?
*****
Saint-Denis, Île Bourbon, le 13 août 1755Les cris de la jeune servante emplissaient la pièce. Le bébé arrivait, mais se présentait mal. Le médecin n'osait pas se prononcer et le maître de la belle, qui était aussi le père de l'enfant à naître, lui tenait la main en lui susurrant des mots doux, rassurants. Tous deux étaient très jeunes pour avoir des enfants et ils n'y étaient pas préparés. Etienne Rossignol, le jeune maître de maison, avait perdu ses parents l'année précédente et était fiancé à une gamine de 9 ans, fille unique d'une famille de riches propriétaires d'une énorme plantation de café. Ce qui ferait de lui l'un des hommes les plus riches de la région quand il l'épouserait.
Cela faisait près d'une journée que le travail avait commencé et la future mère était épuisée. Les joues de la jeune femme ruisselaient de larmes de douleur, mais la sage-femme voyait enfin la tête du bébé et exhorta la servante à pousser une dernière fois. Dans un dernier hurlement de douleur incommensurable, la domestique donna vie à un ravissant et vigoureux petit garçon. Etienne le prit dans ses bras en riant de bonheur.
"C'est un petit garçon, Hélène, c'est un beau petit garçon." dit-il en cherchant le regard de sa bienaimée.
Mais hélas, les yeux de la servante s’étaient fermés pour toujours. L'effort, la douleur l'avaient achevée. Le médecin fit non de la tête et se signa. Les autres domestiques semblaient tous très affligés. Le jeune père confia le petit à la nourrice et alla déposer un tendre baiser sur le front de la pauvre morte. Puis il se tourna vers son fils.
"Je vais t'appeler Sébastien Esteban, petit. Sébastien Esteban Rossignol.""Pardonnez-moi, Monsieur," commença l'intendant de la plantation.
"mais vous voulez vraiment que votre bâtard porte votre nom de famille ? Vous ne pensez pas que votre famille a déjà été assez humiliée par votre comportement ?"19 ans. Etienne n'avait que 19 ans et il avait déjà un enfant illégitime avant même d'être marié. Ses oncles et tantes, ses cousins, tous s'attendaient à ce qu'il confie ce "bâtard", cacher cette "erreur de jeunesse", cette "honte". Mais, tandis qu'il regardait les deux iris bleu-vert et le petit sourire qui s'était dessiné sur le visage du petit garçon, il savait qu'il ne pourrait se résoudre à le renier.
"Ce n'est pas à cet enfant de payer pour mes erreurs. Sa mère et moi, nous l'avons amené dans ce monde et je l'élèverai comme il se doit."*****
Saint-Denis, Île Bourbon, 2 mars 1776Le tableau était charmant. Toute la famille était là; Etienne Rossignol, sa belle épouse Morgane tenant le dernier né de la fratrie, le petit Marcus, dans ses bras, les jumelles Claudia et Valérie, leur fille puînée Claire et leur fils aîné Louis qui fêtait ses huit ans. Tous étaient assis dans le salon, écoutant avec délectation les douces notes que Sébastien, le véritable aîné de la fratrie, produisait en laissant ses doigts élégants courir sur les touches du grand piano de la famille, accompagnant la douce voix de sa cousine Raphaëlle. L'aria était enchanteur et le mariage des notes du piano et de la voix cristalline de la jeune femme avait quelque chose de féérique.
Une fois que la mélodie se fut totalement évanouie dans l'air, le public improvisé applaudit, à l'exception de Morgane qui esquissa à peine un sourire méprisant. Cela ne surprenait pas le jeune musicien, car sa belle-mère ne pouvait que difficilement supporter sa présence. Il était le constant souvenir qu'Etienne avait été à une autre femme, une servante, une moins que rien.
"Bravo, mes enfants !" les félicita le maître de maison en se levant pour les embrasser.
"Magnifique prestation.""Tout le mérite revient à Sébastien, mon oncle." dit timidement Raphaëlle.
"C'est lui qui a composé cet aria et qui m'a donné des conseils pour le chanter.Le dénommé fit un baisemain reconnaissant à sa cousine et reprit sa partition. Etienne le regarda d'un air circonspect. Les yeux du jeune homme se baissèrent en entendant un sifflement de mépris venant de sa belle-mère.
"Est-ce vrai, Sébastien ?""Oui, père. Je pensais faire plaisir à Louis."Il tendit sa partition à son demi-frère avec son sourire aimable. Le jeune garçon prit le rouleau et jeta un regard au pianiste. Leur père leur posa à chacun une main sur l'épaule.
"Allons, Louis, n'as-tu rien à dire à ton frère pour ce beau cadeau ?" demanda-t-il d'un ton encourageant.
"Ce n'est pas mon frère..."Cette phrase atteignit l'adolescent en plein coeur et lui fit monter les larmes. Quoi, Louis s'y mettait aussi ? Depuis qu'il était enfant, on faisait bien sentir à Sébastien qu'il ne faisait partie de cette famille que parce que son père avait daigné le reconnaître comme son fils. Sa belle-mère lui adressait à peine la parole, ses oncles et tantes ne cessait de le dénigrer et c'était tout juste si les domestiques lui obéissaient.
"... mais merci beaucoup, Sébastien, ce cadeau me touche énormément.""Je t'en prie, Louis..."Etienne perçut la tristesse dans la voix de son grand garçon, mais ne dit rien. Une servante vint prévenir la famille que le déjeuner était servi et tous quittèrent la pièce à l'exception du jeune homme qui réprimait ses larmes avec difficulté. Sa nourrice, la douce Lola, une esclave que son père avait affranchie à la naissance de Sébastien, lui posa une main sur l'épaule et lui dit de ne pas se faire de mouron.
"Votre père et vos soeurs vous adorent et vous le savez. Monsieur Louis est totalement sous la coupe de sa mère, mais il vous aime beaucoup aussi."Le jeune musicien lui sourit et vint doucement l'embrasser sur la joue. Ayant grandi sans sa mère, et dans l'indifférence ou l'hostilité de sa belle-mère, il n'y avait guère eu que sa nourrice qui avait pu remplir ce rôle primordial. Il l'aimait énormément.
"Pourrais-tu aller m'excuser auprès de mon père ? Il faut que j'aille prendre un peu l'air. »"Vous allez la laisser gagner cette fois encore ?""L'attaque d'aujourd'hui m'a surpris et je ne m'attendais pas à ce qu'elle vienne de là. Pardonne-moi, chère Lola, mais je ne peux pas faire autrement que de battre en retraite."La douce femme lui sourit, lui caressa la joue et le pria juste de faire attention à lui et de ne pas faire de bêtise. Le jeune homme la serra contre lui, le lui promettant avec plaisir, puis il quitta la pièce...
*****
Au large des côtes africaines, côté Atlantique, 21 septembre 1783"J'ai peur, Papa." sanglota la petite Héloïse, cachée derrière Sébastien.
"J'ai peur..."Le jeune homme posa une main sur la tête de sa fille et lui caressa les cheveux, les yeux rivés sur la porte de la cabine dans laquelle on les avait enfermés. Tout s'était passé si vite: partis de l'Ile Bourbon, à peine avaient-ils passé le Cap de Bonne-Espérance que le bateau qui devait les amener en France avait été abordé, de nuit, par un bateau pirate. L'équipage avait rapidement été maîtrisé et mis dans des chaloupes pour rejoindre la côte à la rame. Exceptés Sébastien et sa petite. Eux avaient été emmenés sur le navire de leurs ravisseurs, dans une immense cabine, richement décorée et meublée.
"Ca va aller, ma chérie. Je suis là, je ne laisserai personne te faire du mal." promit-il d'une voix se voulant rassurante.
Soudain la porte s'ouvrit, les faisant sursauter tous les deux. Quand Sébastien reconnut l'homme qui venait d'entrer, il resta sans voix. C'était lui ! L'homme qu'il avait rencontré douze ans auparavant à, quand il cherchait à panser la blessure provoquée par le dénigrement de sa famille. Ils avaient passé la soirée - et la nuit, au passage - ensemble et le lendemain, il avait été impossible au jeune homme de le retrouver. Et pourtant, il n'avait jamais pu l'oublier , lui et ses yeux couleur d'une mer d'été, ses cheveux et sa barbe aussi sombres que ses yeux étaient clairs. Et ce sourire - grands Dieux était-il possible d'avoir un sourire comme le sien ?
"Ne t'inquiète pas, Sébastien. Je ne vous ferai pas de mal, et mes hommes non plus."La petite fille se mit à observer le pirate avec des regards timides. Le jeune marin lui sourit et s'agenouilla près d'elle.
"Bonjour, jolie demoiselle. Je suis Dante Jefferson, le capitaine de ce bateau, le "Bloody Mary". Et toi ? »"Elle s'appelle Héloïse Rossignol et elle est ma fille." répondit Sébastien d'un ton assez sec, jusqu'à ce que le nom du bateau fasse écho dans son esprit.
"Le "Bloody Mary" ? Comme le légendaire bateau pirate ?"Le pirate sourit et écarta les bras pour désigner le reste de la cabine.
"Lui-même, très cher. Vous êtes les bienvenus à bord."*****
Mer des Caraïbes, à bord du "Bloody Mary", 13 août 1784, à la tombée de la nuitLe jeune homme s'éveilla en sursaut. Que lui était-il arrivé ? Il se souvenait que leur bateau avait été attaqué par un navire de la Compagnie des Indes, qu'ils avaient réussi à les battre, mais qu'il avait été très sérieusement blessé dans le combat. Il se redressa sur son lit et porta une main à sa gorge où il lui semblait se rappeler qu'il avait reçu un coup de sabre. On lui avait bandé le cou avec soin. Retirant vivement le pansement et passant sa main sur l'endroit où il avait été blessé. Il pouvait sentir une longue et fine cicatrice sous ses doigts. Elle était presque d'une oreille à l'autre. Comment pouvait-il être encore en vie ? Il regarda un peu autour de lui, toucha les objets qui lui tombaient sous la main, comme pour s'assurer que tout était bien réel. Puis soudain, il aperçut sa fille chérie, endormie juste à côté de lui, la tête posée sur ses genoux. Attendri, il se mit à lui caresser les cheveux avec douceur. La petite se réveilla à ce contact et sauta au cou de son père en pleurant de soulagement.
"Papa ! Tu es en vie ! Je le savais !" s'écria-t-elle en serrant le jeune homme contre elle.
Sébastien eut du mal à retenir les larmes qui perlaient désormais au bord de ses yeux si beaux, d'après certains. Il avait eu tellement peur de ne plus revoir sa chère petite Héloïse, son unique et ultime trésor. Pourtant, il se sentait exagérément heureux de serrer sa fille dans ses bras. Tous ses sentiments étaient anormalement forts et il pouvait entendre le moindre son de l'autre côté du "Bloody Mary". Il put même entendre le bruit des bottes de son cher et bienaimé capitaine s'approcher de la cabine, le bruit de la poignée et du mécanisme d'ouverture, puis de la porte qui s'ouvrait sur le beau Dante Jefferson.
"Bonsoir, mon amour. Bon retour parmi nous." dit le pirate au regard de braises tout en venant déposer un tendre baiser sur le front de son amant, puis se tourna vers Héloïse.
"Ma chérie, tu nous laisses un moment, s'il te plaît ? Il faut que je parle en privé à ton Papa. »La fillette jeta un œil à Sébastien qui lui fit comprendre d'un signe de tête qu'elle pouvait y aller. Elle claqua une grosse bise sur la joue de son paternel et partit jouer sur le pont. Rossignol sourit en entendant le vieux cuisinier de l'équipage offrir de lui faire une tarte aux fruits, comme ils venaient de se ravitailler dans un comptoir.
Dante le sortit de ses pensées en l'embrassant passionnément. Il en fut totalement électrisé, même s'il sentait bien que cela cachait quelque chose. Il le laissa faire, profitant du baiser avec délectation. Puis, en voyant les larmes perler aux magnifiques yeux bleu clair de son capitaine, le pianiste posa une main sur sa cicatrice et baissa les yeux.
"Je suis mort, c'est ça ?"Son amant ne lui avait jamais caché les risques du métier de pirate, pas plus que sa nature de Vampire. Sébastien l'avait accepté, même si, au départ, il l'avait fui pour cela. Et depuis qu'ils étaient amants, chaque soir et avant et après une bataille, ils avaient échangé leurs sangs, comme ils auraient échangés deux alliances s'ils avaient vécu dans leur monde idéal. Et la bataille de la veille n'avait pas échappé à la règle.
Dante lui caressa la joue avec gentillesse et l'embrassa. Rossignol se laissa aller un instant avec plaisir, mais finit par le repousser avec douceur, car il voulait que son amour lui réponde. Des larmes traîtresses avaient roulé le long des joues du pirate, se perdant dans sa barbe couleur de la nuit.
"Oui, hélas. Un sale petit rat d'égout puant s'est glissé derrière toi et t'a tranché la gorge sans que je puisse l'en empêcher. Je suis tellement désolé, mon amour... »Il ne put continuer, car le Créole l'avait attiré à lui et ses lèvres avaient vivement capturé les siennes pour le faire taire.
"Je respire, mon coeur." lui dit Sébastien en lui caressant le dos.
"Je peux serrer ma fille dans mes bras, jouer du piano et embrasser l'homme que j'aime, c'est tout ce qui compte."Les deux amoureux restèrent enlacés un long moment, tout en s'embrassant, jusqu'à ce que Dante sonne ses hommes pour qu'ils amènent l'un des prisonniers, pour s'assurer que son bel amant resterait en vie. Après tout, même si le sang d'un sale petit rat d'égout puant ne serait pas le meilleur, il ferait amplement l'affaire...
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Ce serait encore très long de tout vous raconter et l'aube va bientôt se lever. Donc je vais devoir vous laisser. Pardonnez-moi de devoir vous tuer, mais je vous avais bien prévenu: si vous entendiez mon histoire, je serais obligé de vous tuer. Désolé, vous n'auriez jamais dû accepter de rendre service à cette garce de Morgane....
"... c'est Toi qui voulais jouer dans mon Monde... mes Epines piquent, fallait s'y attendre... mon Chaton...."