La clef pour un jogging réussi, c’est de souffler. Expirer, inspirer, à une allure qui permette la bonne oxygénation du corps sans pour autant souffler comme un bœuf. C’est ce que s’applique à faire Luke, comme il l’a appris en regardant des vidéos de coaching sur Youtube, et il faut bien avouer qu’il se vautre lamentablement. Même en étant hybride, c’est-à-dire le croisement entre l’espèce des loups garous et l’espèce des vampires, ce qui devrait être au final la naissance d’un corps harmonieux et puissant, Luke arrive à avoir un point de côté. Comme s’il n’avait jamais muté, et qu’il souffle toujours assez mal pour commencer à ressentir une douleur.

Luke pousse un soupir et s’arrête lorsque ses baskets résonnent contre les planches de bois du pont Wickery, plié en deux pour reprendre une respiration moins contraignante. Force est de constater qu’il a autant de mental que de force brute, c’est-à-dire aucun.

Une nouvelle fois accablée par un échec de plus, les épaules du blondinet s’affaissent et il pose sa main contre son front pour essayer de parer le soleil qui l’éblouit. Il est à bout de nerfs, et pourtant la journée devrait bien se passer. Il fait du soleil depuis le petit matin et les températures sont agréables, il a réussi à décrocher un gros contrat pour sa banque ce qui a ravi son patron bedonnant et qui lui assurera sans aucun doute une jolie prime mensuelle, et cerise sur le gâteau il n’a pas croisé le chemin de son créateur et de ses humeurs effrayantes.

Pourtant, Luke n’est pas au mieux de sa forme depuis quelques jours. Envahi par un sentiment de solitude intense et d’une légère dépression, le petit banquier s’est laissé malmener par ses émotions destructrices avant d’essayer aujourd’hui de faire un peu de sport pour se libérer l’esprit du souvenir cuisant de sa soirée au Bal Hivernal. Alors qu’il projetait de passer la plus belle soirée de sa vie en compagnie du beau Liam Atkins, il a pris dans les dents un rejet qui lui a brisé le cœur. Quelques jours après l’incident, il se sent toujours amoureux du colosse aux yeux noisette et au sourire moqueur, et aimerait même entendre de nouveau une de ses blagues stupides au réveil, ou sentir sa main contre son ventre…

Luke pousse un cri soudain de colère et se saisissant les cheveux, il frappe du pied contre le pont avec une violence inouïe et explosive, en se pliant en deux sous l’excès d’émotions. Mais sans pouvoir étancher complètement sa colère, il se voit basculer en arrière lorsqu’une planche sous lui craque sinistrement avant de se briser. Son pied droit se coince dans le trou et alors que Luke essaie de retrouver son équilibre, il se tortille et effectue une torsion soudaine de la jambe pourtant coincée et immobilisée. Luke pousse un geignement cette fois lorsqu’une douleur lancinante lui envahit son mollet et il s’accroupit comme il peut en se tenant la jambe.

- Outch… Aie, aie, aie… Geint-il doucement, les yeux déjà larmoyants.

Cette planche n’était pas sensée se briser. Le reste est parfaitement solide malgré la structure fragilisée par ce trou. Alors pourquoi a-t-elle rompue sous son poids ? Luke ne peut que retenir ses sanglots en maugréant contre l’univers tout entier qui semble lui en vouloir. Doucement il essaie de tirer son pied, mais la douleur le décourage rapidement.

Luke tapote alors ses poches en reniflant et appelle Sam à la rescousse. Pas de réponse. Poussant un gémissement désespéré, Luke compose alors le numéro d’Anthony et se mordille la lèvre en écoutant la sonnerie. Enfin, le beau brun décroche et Luke ne lui laisse même pas le temps de dire Allô.

- Anthonyyy… Gémit-il en essayant de rester compréhensible malgré les sanglots. Vient m’aider, s’il te plait ! Je… Je suis au Pont Wickery, j’arrive plus à bouger… Mon pied est coincé, et ça fait très mal ! Vient ! Souffle-t-il avec une toute petite voix.

Anthony rangeait son bureau. Et alors qu’il savait avoir terminé son œuvre, il sentait que quelque chose clochait. Mais il ne savait pas quoi. Il avait beau regardé chaque recoin du bureau, vérifier que chaque objet était bien à nouveau à sa place parfaite, optimisée pour une plus grande efficacité, mais rien n’y faisait. Il ne voyait pas ce qui posait problème. Et cela l’énervait, il voulait du coup tout envoyer valser, poser ses mains sous le bureau pour les soulever vivement et l’envoyer s’éclater dix mètres plus loin. Mais il n’en fit rien.

Le téléphone portable vibra alors soudainement, le privant de ses intenses réflexions. C’est sans surprise qu’il comprit, que le téléphone n’était pas à sa place, et que c’était ça qui le gênait depuis plusieurs minutes. Habituellement posé sur le rebord de l’étagère, à droite de son ordinateur de travail, celui-ci s’était retrouvé du côté gauche, grossièrement posé sur un livre couché. Quelle infamie, quel blasphème, quelle tragédie…

Il se saisit de l’appareil, et nota que l’appel venait de Luke. Un de ses nouveaux « amis » hybrides. Anthony était fraichement arrivé parmi la petite famille que Niklaus venait de se créer, et il n’était pas encore tout à fait à l’aise avec l’ensemble des hybrides. La situation irait en s’améliorant avec le temps, il en était sûr et certain, mais pour l’heure, une certaine distance était encore bien installée. Quant à Luke, le journaliste ne le connaissait pas vraiment. Il avait noté immédiatement un certain paradoxe avec ce jeune banquier d’ailleurs, qui pouvait paraître plein d’assurance, et fort, mais dans le même temps, une certaine faiblesse le caractérisait. Anthony le sentait, bien qu’il n’ait jamais eu l’occasion d’en saisir toute la subtilité. Il ne voyait pas en Luke une menace toutefois, ni un être dangereux. C’était un bon point de départ pour une relation saine.

Il décrocha, surpris de la petite voix de son camarade. C’était déjà assez rare qu’ils communiquent ainsi, l’appel devait alors être important. Mais il ne s’attendait pas à ce que celui-ci l’appelle pour lui demander de venir l’aider parce qu’il s’était blessé. Le journaliste hésita un instant : devait-il appeler Sam pour le prévenir et le laisser réagir ? Il n’en fit toutefois rien. Déranger le « bras droit » de Niklaus n’était peut-être pas utile. Anthony lui confirma qu’il arrivait au plus vite. Ce qu’il fit, ne comprenant pas tout l’intérêt de l’urgence, il préférait ne pas perdre de temps.

Il n’eut pas vraiment de mal à retrouver Luke d’ailleurs, ce dernier émergeant du sol, en se tortillant dans tous les sens. Le spectacle aurait pu être amusant, s’il ne semblait pas souffrir comme un martyr. Anthony s’approcha à grand pas, analysant calmement la situation, et s’assurant que lui-même ne risquait de subir un sort similaire. Comprenant que la structure était toujours aussi solide, et qu’il n’y avait que Luke pour réussir à marcher sur le seul coin instable, il s’abaissa à ses côtés.

- Arrêtes de bouger, t’auras moins mal. Attends… Voilà, vas-y…

Anthony restait calme face à la situation. D’un côté, il ne se sentait pas très compatissant envers Luke. Il s’était mise dans cette situation tout seul, a priori, et il devait s’en sortir tout seul. Vu les brutes qui envahissent la ville, Luke ne pourrait pas compter éternellement sur ses amis. La logique du journaliste pouvait paraître brutale, froide et horrible, mais elle était pragmatique. C’est ainsi qu’il voyait les choses du moins, et se rassurait. Evidemment, il allait l’aider, il n’allait pas le laisser se démerder en agonisant comme un dératé. Mais il lui fallait aussi subir, pour apprendre. Qu’il se ressaisisse. Il était loup-garou. Il était vampire. Il était hybride, pas un bébé fragile.

- Comment tu te sens dis-moi ?

La question était loufoque. C’était calculé. Anthony voulait que Luke réveille ses instincts primaires, liés à sa nature. Car, il faut bien l’avouer, la situation actuelle le rendait pitoyable, comme hybride. Même un humain paraissait plus intimidant à côté.

Pendant ce qui lui parait une éternité, Luke reste bêtement coincé avec un pied bloqué entre deux lattes cassées. Il essaie vainement de se tortiller, mais la douleur est trop présente et le cloue au sol. Mais son messie arrive enfin pour le sortir de là. Honnêtement, Luke aurait préféré que Sam soit disponible. Tout simplement parce qu’il ne connait pas Anthony autant qu’il le voudrait.

A chaque fois qu’il l’a croisé, l’hybride blond ne peut s’empêcher de constater la froide assurance du journaliste. S’il a confiance en Sam, il n’en a pas encore pour Anthony. Mais qu’importe, puisque le jeune homme a répondu positivement à sa demande et qu’il a tenu parole. Luke essaie de lui décrocher un sourire courageux mais néanmoins crispé par la douleur lancinante qui ne le quitte plus.
Son sourire se fane aussitôt qu’il entend parler de sa voix calme et pas compatissante pour un sou. Luke le fixe avec un air ébahi, n’arrivant pas à croire que la seule chose qu’Anthony parvient à lui sortir dans un tel cas de figure soit : « Ne bouge pas » et « Comment vas-tu ? » Luke se met aussitôt à bouder et tout son visage devient ronchon.

De toute évidence, soit son cher collègue s’amuse de sa malheureuse situation, soit il ne se rend pas compte de l’impasse dans laquelle Luke s’est fourré. Le banquier pose ses mains à plat sur le pont pour se stabiliser et essaie de demeurer immobile pour ne pas souffrir.

- Non, je ne vais pas bien ! ça se voit que je ne suis pas au mieux de ma forme ! Je… Je crois que j’ai la cheville foulée ou quelque chose comme ça, et les lattes du pont compriment mon pied, et je veux pas rester ici toute la soirée ! Geint-il d’un air grognon.

Il lève le regard vers lui et le fixe avec un air désespéré.

- Tu peux m’aider ou lieu de poser des questions ? Je te revaudrais le service, promis, mais la j’ai trop mal je peux plus attendre !

Comme pour appuyer ses dires, Luke lui tend une main en essayant de garder l’équilibre avec l’autre dans un geste de quémande, le poussant à réagir pour l’aider.